Il est de bon ton, par les temps qui courent, de dire qu’on « consomme local ». C’est également une approche que j’ai appliquée à titre personnel depuis le début de ce blog. Cependant, refusant les dogmes, j’ai voulu me renseigner plus profondément sur le sujet afin de savoir si être locavore est la panacée ou pas, et lire les avis contradictoires. J’ai également listé les pièges à éviter et donné des astuces. Les bons légumes, c’est arrivé près de chez vous 😉
Qu’est-ce que manger local ?
0 km ? 50 km ? 250 km ? Si le mouvement « local » initié en Californie avait donné 100 miles comme maximum, le local absolu n’existe que dans son jardin, et la plupart d’entre nous n’a pas de jardin, et nous n’aurions de toute façon pas la possibilité ou le temps de faire pousser assez de nourriture soi-même pour être auto-suffisants.
Alors, qu’est-ce que la « bonne pratique » du local ? Je dirais que c’est avant tout un état d’esprit qui consiste à :
- privilégier des aliments qui sont produits entre 50 et 250 km à la ronde (notamment pour les grandes villes du fait de leur taille et de la quasi absence de culture urbaine), à défaut, privilégier les aliments de sa région, à défaut, si possible dans son pays ou bien dans les pays proches d’un point de vue kilométrique (manger italien dans les Alpes du sud peut donc être considéré comme local à mes yeux)
- si ce qu’on veut manger est disponible à différents endroits (pomme Normande ou pomme d’Argentine), privilégier la source à côté de chez soi.
Vous pouvez voir ici le terme « privilégier ». En effet, il ne s’agit pas de refuser toute production lointaine, pour des raisons de plaisir et de confort, mais aussi, parfois, comme nous le verrons plus tard pour des raisons d’environnement. Ce dernier point souligne la question suivante…
Faut-il vraiment manger local ?
La question peut sembler triviale tellement le circuit court alimentaire est une « évidence » pour toutes les personnes dans la mouvance de mon blog. On trouve pourtant des contre-arguments, et pas seulement proposés par les lobbies de l’agriculture intensive 😉 En tous les cas, il est de mon devoir de creuser un peu plus et non pas répéter ce que « tout le monde » dit.
Je me devais donc de répondre notamment à cet article écrit par un professeur d’une école de commerce et de management (qui n’est donc pas un expert en écologie, mais qui a le mérite de proposer une vision contraire à la norme)… Je me passerai de commenter l’aspect politique car ce n’est pas le sujet de ce blog, mais si je réponds à son article ici, c’est pour deux raisons :
- son titre, « le localisme est une aberration économique et écologique« , inclut l’aspect environnement qui nous intéresse
- beaucoup de commentaires de cet article demeurent intéressants
Voyons-donc ses arguments et passons-les au grille-pain (bio) 😀
L’affaiblissement de la filière française [de pommes, dans l’exemple] par son émiettement favorise la concurrence étrangère. Place aux pommes argentines.
En tant qu’acheteur, je trouve des pommes bio françaises à un prix très accessible à côté des pommes « bio argentines » certes encore moins cher, cependant les pommes françaises sont à un prix suffisamment bas pour qu’un foyer même peu fortuné puisse en acheter. Donc à moi, à nous, d’acheter les pommes françaises pour ne pas « favoriser la concurrence étrangère » lorsqu’elle est aberrante comme dans ce cas. C’est nous qui avons le pouvoir de décider ce que nous achetons. A mon sens, c’est précisément le fait que certains commerces contournent le bon sens d’acheter tout au moins national (des pommes ça pousse en masse en France) qui « affaiblit » les producteurs. Petit aparté : la production de pommes en France est-elle affaiblie, vraiment ? Ca n’a pas l’air d’être le cas des Coteaux Nantais qui fait d’excellentes pommes en biodynamie.
La mairie d’Agen décide de l’aider [le producteur local], car il est inacceptable d’importer des pommes de l’autre bout de la France
Cet exemple fictif ne reflète à mon avis pas du tout l’esprit de « manger local ». On n’est pas là pour vous interdire de manger des bananes mais plutôt pour rappeler à tous qu’on a souvent de très bons produits moins chers, demandant moins de transport, à côté de chez soi, et rétablir ainsi un certain équilibre dans une société où tout le monde s’est habitué à manger quotidiennement des produits exotiques.
Ce risque de passer d’un petit nombre de producteurs de taille critique amortissant leurs coûts sur un gros volume à une myriade de petits producteurs non rentables n’est pas illusoire : le verger français moyen fait en effet seulement 12 ha contre… 200 ha en Argentine.
Ce qui est illusoire c’est de penser qu’il faut produire 200 ha pour être rentable, à l’image de l’agriculture intensive qui ne respecte pas les sols, ni probablement les salariés en Argentine (s’ils sont salariés). Ce que Mr Silberzahn omet de dire, c’est que les « petits producteurs » de 12 ha peuvent faire de la qualité et gagner correctement leur vie en vendant à des prix raisonnables, non seulement aux collectivités, mais également directement aux consommateurs* ou via des circuits courts. Ceci, plutôt que de vendre à prix massacré à la grande distribution qui les presse toujours un peu plus, et qui est la seule entité à vraiment gagner de l’argent dans le circuit. Une fois encore, à nous d’acheter local et le plus directement, et de court-circuiter la grande distribution autant que possible, cette dernière n’ayant à mon avis généralement pour intérêt ni les consommateurs, ni les producteurs…
L’argent ainsi économisé par la mairie de Dardilly grâce au gain en efficacité (prunes moins chères) pourrait dès lors être consacré, par exemple, au ramassage des poubelles.
Désolé Mr Silberzahn, ici on est zéro déchet. Bon, pour votre article aux arguments poussifs, j’avoue, je ferais bien une exception. 😀
* Finalement, le seul argument que je trouve censé (qu’on ne trouve pas dans l’article de l’auteur, mais dans les commentaires de certains lecteurs, merci à eux) c’est qu’il faut être vigilant (et qu’il faudrait faire les calculs…) sur le fait que les km effectués par tous les acheteurs pour acheter à un producteur local pourraient polluer davantage que le transport par un seul véhicule de l’ensemble de la nourriture sur un point de vente centralisé (centre ville par exemple). J’en parle plus loin ici, et cela fera probablement l’objet d’un article dédié, dans un 2ème temps, calculs à l’appui. En tous les cas, je note la statistique de Alimenterre qui relativise la pollution liée au transport : 29% du bilan carbone est dû à la production, et 6% seulement au transport, ce dernier n’étant donc pas à diaboliser.
Vous l’avez compris, je suis donc un partisan du « manger local » quand ça a du sens. Maintenant, je vais vous aider à ne pas tomber dans certains pièges et vous aider à en faire un mode de vie positif plutôt qu’une contrainte insoutenable. Mais avant cela, résumons les bonnes raisons de manger local.
Pourquoi manger local ?
On pourra retenir les arguments principaux suivants :
- Moins d’empreinte CO2 (avec les garde fou cités plus haut).
- Plus humain et avec une répartition plus équitable des richesses, en particulier dans le cas d’un lien direct avec le producteur, lui permettant de continuer à faire de la qualité plutôt que de la quantité
- Un meilleur goût, du fait de non réfrigération, de la récolte de produits à maturité, et de peu de transport
- Moins de déchets car moins de conditionnement et moins de produits abîmés pendant le transport
- Une promotion de la qualité grâce au bouche à oreille : si je suis content des produits que j’achète au producteur à côté de chez moi, j’en parlerai autour de moi ce qui lui fera une publicité gratuite. Si au contraire il fait des mauvais produits, il disparaîtra probablement à terme du fait de ma mauvaise publicité, au profit des autres.
- Des terres lointaines sont laissées libres aux agriculteurs de là bas pour leur propre usage plutôt que de les surexploiter au profit du reste du monde.
Les pièges à éviter
Magasin bio ≠ local
On part souvent du principe qu’un magasin bio propose des aliments près de chez soi, hors le « label bio » se soucie surtout de l’absence de pesticides, d’intrants chimiques et d’OGM… Mais aucunement de l’aspect local. C’est pour cette raison qu’on trouve des pommes bio d’Argentine chez Bio C Bon alors que la France est un gros producteur de pommes…
Magasin local ≠ bio/sans pesticide
Beaucoup d’aliments sont cultivés près de chez moi (en Ile-de-France) de manière « conventionnelle ». Ils ont beau être produits localement, ils sont cultivés avec pesticides et engrais chimiques. Je les évite donc même s’ils sont locaux et je privilégie les produits bio, de saison*, et dans une certaine mesure, les plus proches de chez moi.
* Le « de saison » m’évite automatiquement d’acheter du bio sans goût sur terres épuisées – donc faibles en nutriments – qu’on trouve notamment en provenance d’Espagne.
Local délocalisé
Si vous habitez en Belgique, vous pourrez acheter des tomates locales en plein hiver… Produites sous serre chauffée avec des engrais chimiques et lumière artificielle. Conclusion, il faut bien sûr acheter les produits du coin lorsqu’ils poussent naturellement dans le coin sans être triturés artificiellement, et manger de saison.
Producteur ≠ importateur
L’autre jour j’ai vu des graines de lin « Origine : France; provenance: Chine » dans le magasin bio Queues de Cerises, dont les valeurs liées à l’environnement semblent pourtant plus respectables que certains concurrents. WTF ? suis dis-je. Après discussion avec les vendeurs du magasin, on a compris que l’importateur (Primeal) achetait du lin en Chine. Le lin, vous savez? Cette graine très saine (pleine d’Omega3) qui pousse dans notre beau pays notamment en Gascogne… Encore une aberration du commerce globalisé. Attention, donc, à bien lire la provenance.
Des amandes de Paris ?
La culture des oléagineux et les fruits secs est connue pour avoir un impact minimum sur l’environnement, pourtant dans mon cas (je vis en Ile-de-France), les amandes et pois-chiche, par exemple, ne poussent au plus près que dans le sud de la France (source) et à l’étranger. Alors, faut-il les exclure de notre alimentation ? Les choses ne sont pas si simples (ça ne serait pas drôle sinon ;)) et de mon côté, je fais le choix bien sûr de continuer à manger pois-chiches, amandes et autres produits très nourrissants et « légers à transporter par rapport à l’apport nutritionnel qu’ils apportent » et nécessaires dans le cadre de mon alimentation végétarienne. Incroyable mais vrai, l’impact en transport et consommation d’eau dans le cas de pois-chiche, même provenant de l’étranger, est bien moindre que de courgettes du sud de la France (que j’adore) du fait de l’arrosage massif nécessaire de ces dernières et du fait qu’elles contiennent 95% d’eau.
Peut-on vraiment toujours manger local ?
Trop monopomme ?
Mon point de vue est de manger davantage local, sans exclure totalement les produits venant de plus de 50 km autour de Paris. Ceci dit, à titre personnel, j’ai (re)pris du plaisir à (re)découvrir les différentes variétés de pommes dans mon muesli du matin, plutôt que de manger une banane par jour comme avant. Alors, oui, j’ai mangé beaucoup de pommes et de poires, et tout le monde n’apprécierait pas forcément une certaine monotonie dans les aliments. J’ai cette chance de ne pas me lasser de manger certains aliments de manière quotidienne (pommes, amandes, avoine; l’hiver, butternut et soupe de potiron) lorsqu’ils ont un goût excellent. A vous de mettre le curseur où vous vous sentez de le mettre.
L’inconvénient de manger local peut donc être la monotonie des repas, surtout en hiver (période pauvre en fruits et légumes), si on applique cette règle de manière stricte. Pour compenser, des recettes créatives et un équilibre 20/80 (20% des produits seraient des produits à distance et 80% en local) devraient résoudre le problème. Par exemple, dans notre cas, quelques bocaux (préparés en été) d’aubergines à la tomate de temps en temps comblent notre manque de diversité pendant l’hiver.
Trop cher ?
Certes les bananes, par exemple, sont très peu chères à l’achat (surtout quand on sait les km qu’elles parcourent dans des bateaux réfrigérés), mais soyons honnêtes : ce qui coûte le plus dans l’alimentation, ce sont les produits transformés avant tout. Acheter des aliments bruts locaux et même bio peut s’avérer raisonnable en terme de prix à condition d’acheter au bon endroit (les endroits « tendance » seront chers) au bon moment (de saison). Si on couple ça au fait de manger moins de viande et de poisson, le compte est bon.
Comment cuisiner local
Les solutions dépendent de là où vous habitez… En petite ville, grande ville ou à la campagne, la donne n’est pas la même.
- A la campagne (ceux qui sont dans ce cas le savent sûrement déjà), de nombreux petits producteurs vendent leurs produits en direct. Moult avantages d’acheter du producteur au consommateur : la qualité, la traçabilité, le contact humain. Inconvénient d’un point de vue écologie si vous faites le trajet en voiture et que vous n’êtes pas juste à côté : si vous êtes 50 acheteurs à faire 20 km de route pour aller vous fournir chez ce producteur, l’impact CO2 sera lié à 50*20 = 1000 km de route, l’essentiel du poids transporté n’étant pas la marchandise mais la voiture et le passager. Quelques solutions pour éviter ce problème
- Faire pousser une partie de ce qu’on mange
- Acheter groupé, pour soi et ses voisins
- Acheter de grosses quantités (les pommes durent un mois en hiver sans problème dans un endroit frais et sec. Les courges, encore plus)
- Pour de petites quantités, se déplacer en vélo (si si, sur 10 ou 20 km ce n’est pas un gros effort et c’est bon pour la santé)
- Acheter en centre-ville dans une coop qui a apporté en une fois les productions de plusieurs producteurs alentours
- Autres idées de votre part ?
- En ville, on privilégiera
- Les AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) et leur équivalent les « ruches » type La Ruche Qui Dit oui
- Les magasins qui privilégient des produits du coin. Il existe même des magasins et épiceries qui vendent exclusivement des produits locaux
- La vente directe des producteurs alentours, ou « Drive Fermier » avec les mêmes optimisations que dans le cas d’un achat à la campagne.
- En dernier lieu, je remettrais le fait de faire pousser une partie ce qu’on mange, à moindre échelle qu’en campagne. Il est en effet possible de faire pousser quelques aliments en jardin, mais également sur balcon ou même en intérieur ou encore en jardin partagé (ça existe à Clamart, ville d’environ 60 000 habitants dans laquelle je vis, en région parisienne). A réserver aux plus courageux/ses.
Et la restauration locale ?
Les restaurants et commerces type boulangerie, traiteur… vont souvent vous décevoir sur ce point. Mes solutions personnelles :
- Cuisiner plus et manger sa lunchbox le midi plutôt que d’aller au restaurant
- Accepter (en mode 20/80) de déroger à la règle 20% du temps sans culpabiliser.
Il existe malgré tout de plus en plus de restaurants qui s’annoncent « local », mais cela reste encore trop marginal pour que je le détaille dans cette première version de l’article.
Pour aller plus loin
Quelques articles intéressants sur le sujet :
- Régions de production des légumineuses en France – des champions nutritionnels et écologiques
- Une semaine de test locavore à Paris sur Le Parisien
- Un article sur M Planète : Manger local ? « Je pensais que ça aurait été plus compliqué et plus cher »
- Drive Fermier : une carte de France qui donne les producteurs près de chez soi
- L’article sur le Mouvement Colibris
- Le site du ministère de l’Agriculture : « Manger local partout en France«
Et vous ?
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Le mot de la fin
Des cerisiers japonais en Belgique ? Et pourquoi pas ? 😀
Il faut toujours se méfier des économistes…
Héhé, au sens où on l’entend actuellement, oui il faut s’en méfier même si au sens du bon sens (faire des économies, ça serait consommer moins ?) cela pourrait être un but honorable.