Kokopelli est une association qui oeuvre pour la diffusion de semences non répertoriées (et par conséquent officiellement interdites à la vente), dont l’enjeu affirmé est la conservation de la biodiversité. Interview.
Je suis au salon Marjolaine Bio 2017 avec Sylviane de l’association Kokopelli.
Philippe Raynaud, Ecolozen : pourriez-vous me résumer le but de l’association ?
Sylviane, Kokopelli : Kokopelli est née en 1999, le but de l’association est la conservation de la biodiversité. Un catalogue [officiel des semences] a été créé en 1940, ce qui a engendré l’élimination de certaines variétés et c’est ce contre quoi se bat l’association Kokopelli. Ces variétés appartiennent au monde du vivant et il n’y a pas lieu que ces semences soient confisquées par certaines personnes parce que c’est plus simple pour eux… Et puis, nous sommes en pleine normalisation [NDLR : les normes européennes et mondiales tentent de tout normaliser quitte à exclure une partie des semences].
PR : combien avez-vous de variétés de commercialisées ?
SK : 300 au salon, et 2000 variétés à l’association.
PR : parmi les variétés que vous vendez, vous limitez-vous aux variétés qui ne sont pas vendues ailleurs [NDLR : c’est à dire les variétés en catalogue officiel] ou bien vous vendez également les variétés commercialisées ?
SK : nous vendons aujourd’hui toutes sortes de graines, interdites ou pas, ce sont des graines reproductibles contrairement au marché traditionnel où ce sont des graines F1 hybrides qui ne sont pas reproductibles. Nous proposons des semences anciennes tout comme des créations récentes, tout en bio.
PR : vous parliez des semences F1, pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont des graines qui peuvent faire seulement pousser les plantes une seule fois. En circuit de vente traditionnel, peut-on trouver des graines reproductibles ou uniquement des F1 ?
SK : aujourd’hui on commence à trouver des semences bio, je ne suis pas persuadé qu’elles sont reproductibles même en bio.
PR : combien vendez-vous de semences chaque année, environ, via l’association ?
SK : nous sommes 3 équipes à tourner en France sur des salons bio, sur les marchés de fleurs… ce qui représente 10 à 15% des ventes, le reste étant fait via Internet. A cela s’ajoutent quelques magasins bio (type Biocoop) qui achètent certaines semences.
PR : qui sont les acheteurs de ces graines : des jardiniers amateurs ou bien des professionnels ?
SK : aujourd’hui 95% sont des particuliers, les autres sont des maraîchers. Souvent ces derniers passent directement par l’association.
PR : si demain je vous achète des graines de tomates, je peux réutiliser les graines des tomates pour faire pousser de nouveaux plants ?
SK : oui
PR : si j’achète par exemple 50 g de graines, combien je peux espérer pouvoir replanter l’année d’après ?
SK : je ne sais pas combien cela peut générer car cela dépend des graines, de leur taille, etc, mais on peut reprendre les graines des plantes qui ont poussé pour les replanter.
PR : mais dans quel ordre de grandeur ? Peut-on espérer – comme dans le cas d’un plant de framboisier – doubler, tripler… d’une année sur l’autre le nombre de plants ?
SK : on ne peut pas calculer comme ça car le framboisier est un arbre, qui va se reproduire, mais pour une semence, si vous plantez une graine de tomates et que vous gardez ensuite les graines d’une tomate que cela a produit, cela va vous faire une foultitude de nouveaux plants de tomates. Dans une tomate il peut y avoir une cinquantaine de graines.
PR : que dit la loi exactement concernant les graines interdites à la vente ?
SK : la loi conserve cette notion de catalogue, tout en mettant à jour sa définition depuis 1941, catalogue qui a été revu à la baisse, bien évidemment [NDLR : en nombre de semences autorisées] – ou, malheureusement. Aujourd’hui il existe encore un certain nombre de graines chez Kokopelli qui sont interdites parce que non inscrites au catalogue officiel. Kokopelli a eu pendant 10-15 ans des procès – tous les procès ont été perdus (par l’association) – néanmoins on reste persuadés que notre démarche est une bonne démarche dans la mesure où certaines personnes s’arrangent pour supprimer ce vivant, ce qui est inadmissible car ces graines ont toujours existé, il n’y a pas lieu de les supprimer, donc on continue. Ces procès nous ont donné une certaine notoriété, beaucoup de médias nous ont aidé ce qui fait que depuis 2 ou 3 ans, nous sommes relativement tranquilles, personne ne nous embête plus, sachant que nous sommes plusieurs associations à vendre des graines bio [non-cataloguées] telles que Germinance, Del Pais, Semailles, un certain nombre d’associations font ce genre de choses, et on continue même si on se remet souvent en cause car on nous tape sur les doigts.
PR : en tant qu’amateur, qu’ai-je le droit de faire d’un point de vue légal : je peux les donner, les échanger ?
SK : aujourd’hui, vous pouvez échanger les graines. Aujourd’hui on trouve des bourses de graines, de grainothèques, des trocs de graines. Il faut faire vivre ce genre de choses. Il y a peut-être quelques illégalités mais aujourd’hui les gens s’échangent les graines, ce qui a toujours été fait et il n’y a pas lieu de remettre en cause des choses qui ont existé depuis la nuit des temps.
PR : vous avez dit que 95% des acheteurs sont des amateurs, il reste donc 5% de professionnels. Est-ce que ces professionnels – qui n’ont pas le droit d’acheter ces graines – ont-il le droit de vendre les fruits et légumes qui ont poussé à partir de ces graines ?
SK : bien sûr (sourires)
PR : c’est une nuance d’importance. [le magasin] Carrefour avait fait parler de lui en « vendant des fruits et légumes interdits », mais ils ont simplement fait un bon coup marketing : ils vendaient des fruits et légumes dont les semences étaient interdites à la vente mais pas lesdits fruits et légumes.
SK : c’est un coup marketing, c’est sûr (rires)
PR : qu’est-ce que vous pensez de l’argriculture bio, d’un côté, et biodynamique de l’autre ?
SK : aujourd’hui il y a bio et bio, tout ce qui va être Nature & Progrès, Demeter et autres mentions (des labels), c’est très important face au « bio industriel » pour lequel on est dans un autre monde : il y a une norme et une charte que [les industriels] respectent, mais il faut rester très vigilant car comme dans toute industrie on cherche à ouvrir les choses [NDLR : traduire par « contourner les normes et ne pas respecter l’esprit originel du bio »].
Plus d’informations sur l’association Kokopelli : https://kokopelli-semences.fr/